Voyage sur la ligne du Tokaïdo (1978)

Publié le par thierryvatin

gare.jpgEn arrivant à la gare de Tokyo, nous devons nous frayer un passage à travers la foule avant d’arriver au quai. Ce quai a été spécialement aménagé pour recevoir le Shinkansen, le train de la nouvelle ligne du Tokaïdo. Aujourd’hui nous voulons visiter Kyoto. Aussi allons-nous prendre place à bord du “Hikari”, l’“Éclair”. Bientôt le train bondé arrive en gare, long éclair blanc et bleu de 400 mètres. L’avant aérodynamique de la motrice a la forme d’un museau arrondi et, de chaque côté, les phares font penser à deux yeux fixes.
En quelques minutes le train s’est complètement vidé de ses 1 400 passagers.
 Peu après, des nettoyeuses ont ramassé les rares déchets laissés par les voyageurs et on nous annonce que nous pouvons monter.
Nous avions acheté nos billets et réservé nos places la veille à notre gare de banlieue, ce qui a pris tout au plus une minute, car les réservations pour tous les trains express du Japon se font par ordinateur.

 Lorsque vous demandez à l’employé un billet pour tel ou tel train, l’ordinateur vous le délivre et, s’il n’y a plus de places dans ce train-là, il vous indique l’heure du suivant. Si vous êtes d’accord, il prépare immédiatement ticket et réservation. En outre, il y a plusieurs “sièges libres” dans les 16 wagons du train et vous pouvez toujours faire la queue pour en obtenir un si vous n’avez pas de réservation.
Heureusement, nos places, sont du côté droit, ce qui nous permettra de mieux admirer le Fuji-Yama. Le train longe cette montagne de si près qu’on a l’impression de pouvoir la toucher. Admirez la garniture bleue des sièges et leurs protège-têtes étincelants de propreté. Les sièges sont disposés de part et d’autre de l’allée, trois d’un côté et deux de l’autre. Dans les deux wagons verts de première classe, les sièges, particulièrement luxueux, peuvent s’incliner.

En attendant le départ du train, je vais vous donner quelques renseignements à son sujet. Le Shinkansen a été inauguré en 1964. Il reliait alors Tokyo et Osaka, villes distantes d’environ 515 kilomètres. Puis, en 1972, on prolongea la ligne jusqu’à Okayama et, en 1975, jusqu’à l’île de Kiou-Siou, ce qui fait un total de 1 176 kilomètres.
Ce train aérodynamique peut atteindre 286 kilomètres à l’heure. Mais quand il s’agit d’un trajet ordinaire, comme le nôtre aujourd’hui, il se contente d’une vitesse horaire de 210 kilomètres, ce qui n’est déjà pas si mal. Les trains classiques mettaient 6 heures et 50 minutes pour aller de Tokyo à Osaka, mais le Shinkansen fait le trajet en 3 heures. Vous comprenez maintenant pourquoi notre train est surnommé “Éclair”.
Le soin apporté au confort

Nous voilà partis, très lentement d’abord, mais progressivement de plus en plus vite. Inutile de se cramponner, car on avance sans heurts. L’“Éclair” roule tellement plus en douceur qu’une voiture ou un autobus qu’on ne se rend pas compte de sa vitesse avant de regarder par la fenêtre le paysage qui s’enfuit. Pourtant on n’a aucune difficulté à circuler dans les couloirs. Manifestement, il a fallu d’habiles ingénieurs pour rendre ce train aussi rapide et aussi confortable.
Mais nous n’entendons pas le cliquetis que causent habituellement les joints des rails. En effet, alors que les rails normaux n’ont que 25 mètres de long, les rails du nôtre en ont 1 500. De plus, ils se raccordent par un joint flexible conçu pour éliminer les chocs et neutraliser les conséquences de la dilatation et de la contraction.

Dans les zones d’habitations, le terre-plein est formé de traverses en béton et de gravier, ce qui diminue le bruit du train. Mais la plupart du temps, la voie passe en rase campagne et là le terre-plein est fait de plaques de béton. Les rails sont posés directement sur ces plaques qui ont moins de 5 mètres de long. Chose intéressante, ce terre-plein “flotte” sur un “coussin”. Voyons comment.
D’abord, les plaques de béton sont posées sur un fondement également en béton. Ensuite, on injecte de l’asphalte sous pression par de petits trous creusés dans les plaques, jusqu’à ce qu’elles se soulèvent de 5 centimètres au-dessus de leur fondement. Cet asphalte forme alors un “coussin” qui absorbe une partie des chocs et du bruit transmis par la voie.
Malgré cela, le bruit reste un des plus gros problèmes pour les riverains qui estiment souffrir de “pollution sonore”. Ils s’opposent fortement à ce train et se demandent pourquoi il est nécessaire de voyager à une telle vitesse.
Avez-vous soif? Moi aussi. Deux jeunes filles vêtues d’un uniforme coquet poussent un chariot. Nous pouvons acheter n’importe quoi, depuis du café jusqu’à de la bière et même du calmar séché. Pendant que nous en mâchonnons un peu, examinons quelques autres détails concernant ce train.

Les virages et les tunnels
Voyez-vous l’avant du train quand nous abordons un virage? Pour des raisons de sécurité, la voie est aussi droite que possible là où le train roule à grande vitesse. Le virage le plus serré est 6 fois plus large que ceux des voies normales, et l’“Éclair” peut le négocier à 210 kilomètres à l’heure. Pour accroître davantage la stabilité du train, on a élargi la voie à 1,40 m, alors qu’habituellement elle n’a qu’un peu plus d’un mètre.
Avez-vous remarqué les fermiers qui travaillent dans les rizières? Non? Il est vrai qu’il y a de nombreux tunnels sur la voie. Actuellement, un tunnel sous-marin permet d’atteindre l’île méridionale de Kiou-Siou, et on projette de relier les quatre îles principales du Japon par des tunnels qu’empruntera la ligne du Tokaïdo. Si ce projet est mené à bonne fin, le trajet entre Tokyo et Sapporo, sur l’île d’Hokkaïdo, trajet qui prend actuellement 17 heures, sera réduit à 6 heures.

Après tout juste deux heures de voyage, nous entrons en gare de Nagoya. Nous ne descendrons pas, bien qu’il y ait un arrêt de deux minutes. Regardez tous ces gens qui sortent du train. Ils se précipitent vers une petite échoppe située sur le quai pour y acheter un bol de nouilles fumantes qu’ils engloutissent en vitesse. Puis, au signal donné par une grosse cloche, ils réintègrent leur wagon.
Pourquoi un train aussi rapide?
Beaucoup de gens, et notamment les riverains, se demandent pourquoi, dans un pays formé uniquement d’îles, on avait besoin d’un train aussi rapide. Les défenseurs de ce projet répondent que le Japon s’étend du nord au sud et que les principales villes industrielles sont situées le long de la côte du Pacifique. Dans le passé, disent-ils, il avait suffi d’améliorer les grandes routes du littoral. Mais bientôt celles-ci ont atteint le point de saturation et il n’y avait plus d’endroit pour construire d’autres routes ou pour qu’un plus grand nombre de voitures les empruntent.

Il fallait un nouveau moyen de communication entre Tokyo et Osaka, la deuxième ville du Japon. C’est ainsi qu’est née la ligne du Tokaïdo. On a souvent dit que sans le Shinkansen, le Japon n’aurait pas connu un développement économique aussi rapide. Depuis son inauguration, en 1964, cette ligne a transporté plus d’un milliard de passagers. Chaque jour, 350 000 personnes empruntent l’un des 260 express Hikari (Éclair) ou omnibus Kodama (Écho).
La sécurité
Voici qu’apparaissent d’autres jeunes filles. Celles-ci vendent de la crème glacée. Nous en mangerons plus tard. Pour l’instant, allons au wagon-restaurant consulter le compteur de vitesse installé à l’intention des passagers. Il indique 210 kilomètres à l’heure. C’est à peine croyable, n’est-ce pas? À pareille vitesse, il est presque impossible d’arrêter le train à temps en cas de difficulté. Même si le mécanicien freine immédiatement, le train parcourra encore deux kilomètres avant de s’immobiliser.
Puisqu’on ne peut se fier aux yeux humains, il n’y a pas de signaux le long de la voie. Tout est surveillé par un système automatique. La ligne est divisée en tronçons de 3 kilomètres chacun et, à la station de contrôle, on peut suivre chaque train sur un tableau. Un ordinateur envoie des ordres aux divers tronçons et contrôle la vitesse des rames. Le centre de contrôle émet quatre ordres de vitesse: 210, 160, 70 et 30 kilomètres à l’heure, et il peut aussi ordonner l’arrêt.

Si le tronçon sur lequel roule notre train reçoit des impulsions télécommandées pour une vitesse de 210 kilomètres à l’heure, l’ordre de vitesse qui parcourt le tronçon que nous venons de quitter est de 30 kilomètres à l’heure et le tronçon précédent reçoit un ordre de freinage à 70 kilomètres à l’heure, et ainsi de suite de tronçon en tronçon. Ce système permet d’éviter toute collision par l’arrière. De plus, si nous roulons à 210 kilomètres à l’heure, aucun train ne se trouvera devant nous à moins de 9 kilomètres.
Qu’arriverait-il si le système fonctionnait mal? C’est pratiquement impossible. La seule “panne” est venue d’un ordinateur dans lequel un cafard avait élu domicile, et qui a signalé une fois qu’un train filait à pleine vitesse, alors qu’il était à l’arrêt dans une gare! Tous les systèmes de contrôle sont doublés et toutes les machines électriques sont assistées par deux machines de secours. Quand l’une fait défaut, l’autre prend la relève. Même les tremblements de terre ont été prévus. Les trains s’arrêtent automatiquement quand se produit un séisme d’une certaine amplitude.

En cas de pluie, de vent, de neige, etc., il est nécessaire de rester en contact permanent avec les mécaniciens du train et le personnel de chaque gare. Au bureau de contrôle de Tokyo, le poste central de la circulation s’occupe de cet aspect de la sécurité. On peut y voir un tableau qui indique la circulation sur toute la voie, de Tokyo jusqu’à l’île de Kiou-Siou. Les opérateurs de la salle de contrôle surveillent étroitement le tableau et donnent les renseignements nécessaires à chaque train.
Dernièrement, devant l’augmentation du trafic ferroviaire, les Chemins de fer japonais ont inauguré un système d’ordinateurs supplémentaire, appelé “Comtrac”, pour aider les opérateurs. Le système Comtrac a dans son fichier magnétique des informations, telles que le numéro des voies, les horaires et la situation dans chaque gare.
Si l’horaire des trains est changé pour une raison quelconque, le système Comtrac en informe les opérateurs de la centrale de contrôle. Il établit automatiquement un nouveau programme et de nouveaux horaires et, si c’est nécessaire, il annule certains trains. Il peut intervenir à n’importe quel endroit dans le système normal et même faire des annonces dans certaines gares. C’est vraiment un système étonnant.

Grâce à toutes ces précautions, la ligne de Tokaïdo présente malgré sa rapidité une très grande sécurité. Depuis le 1er octobre 1964, il n’y a eu aucun accident entraînant des pertes en vies humaines. La priorité est toujours donnée à la sécurité.
Nous voici déjà à la gare de Kyoto. Notre voyage a duré 2 heures et 50 minutes. À présent, vous pouvez dire que vous avez voyagé à bord de l’“Éclair”, célèbre dans le monde entier pour sa vitesse et envié par de nombreux pays.

Publié dans Japon

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